Depuis 2017 je suis engagée dans un travail de création nommé Veille.
Cette recherche est vécue pour moi comme un embarquement imaginaire, au long court, sur et sous les océans.
Je travaille les «résidus» de la pêche: peaux, écailles et arêtes de poissons de toutes sortes. Considérées comme de déchets, je transforme ces matières, comme si elles étaient des étoffes de choix et des matériaux rares. Je les récolte, les lave, les sèche, puis les assemble. Je construis de grandes sculptures de peaux cousues, pensées comme des mues, des lieux de mémoire et de méditation. Je confectionne aussi de longues colonnes d’arêtes, qui s’élèvent vers le ciel, suggérant des objets rituels, totems ou chapelets venus des fond marins. En collaboration avec Jonathan et Léo Merlin une création sonore accompagne les installations de ce travail.
Le projet «Veille» entretient un rapport très étroit avec le vivant.
L’utilisation de restes organiques issus de la pêche comme matière première de tout le travail de recherche et de sculpture est un acte inaugural très fort. Loin de considérer l’animal comme un produit de consommation, là où la pêche industrielle peut nous en donner un effroyable exemple, je travaille les matières animales dans une forme d’hommage et de perpétuation de la vie. La dimension mémorielle est très importante dans ma démarche. Chacune des matières que j’utilise est le témoin discret de toute l’évolution et l’adaptation d’une espèce à son milieu. Chaque peau a sa propre texture, des couleurs et motifs singuliers, une épaisseur précise; chaque arrête, son profil, sa solidité, chaque écaille sa résistance, sa souplesse.
Les contes, la mythologie, la littérature, les récits et documentations scientifiques accompagnent mon travail d’atelier. Ils enrichissent mes découvertes empiriques, ouvrent les horizons et me permettent une meilleure compréhension des univers dans lesquels je navigue. Je mesure la complexité des relations qui nous unissent au monde sauvage et l’ambivalence permanente de liens dans laquelle se tient l’homme. Entre peur et attirance, respect et domination, savoir et croyance. Nous peinons à trouver comment faire et notre attitude de défense consiste alors souvent à nous en tenir éloigné. Mon travail plastique me permet de frayer un chemin et de bâtir petit à petit une langue qui me permette le dialogue et la relation.
Ce projet Veille, aux multiples déploiements (plastique, littéraire, sonore) tente d’approfondir cette expérience d’un lien complexe d’interaction profonde avec le monde qui nous entoure. Faire cette expérience modifie considérablement, de l’intérieur, notre relation au monde naturel, bâtit en nous une éthique,
un besoin de relation et d’appartenance, qui je l’espère peut nous aider à penser et à éprouver les nécessités écologiques.